RougierRibaud

[OLF, i.e. Olf Le Fol]

« L’alimentation est un besoin naturel que les hommes ont su transformer en plaisir. La gastronomie est donc un fait de civilisation. Y renoncer n’est pas seulement accablant, c’est également accepter de perdre une partie de notre humanité ».

Lorsque nous écrivions les lignes précédentes, dont nous pouvons vous révéler qu’elles ont beaucoup voyagé, nous fûmes l’objet de quelques railleries. Or, aujourd’hui, un Dîner presque Parfait est le plus important succès de l’année en matière d’audiences télé, ce qui confirme l’intérêt considérable que portent les français à la question gastronomique. Et, surtout, notre pays a très officiellement demandé que sa gastronomie soit inscrite au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco.
Nous avions donc vu juste.
Evidemment, nous avons soutenu totalement une telle initiative. Pourquoi ? Parce que la gastronomie, qui est la connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à l’ordonnancement des repas, à la dégustation et à l’appréciation des mets, est un fait culturel essentiel, le plus fédérateur de l’histoire de l’humanité.

Gastronomie et culture
La culture est l’ensemble des usages, des coutumes, des manifestations artistiques, religieuses et intellectuelles qui définissent un groupe, une société. Or, quoi mieux que la gastronomie raconte l’histoire de l’humanité : de la maîtrise du feu, à l’invention de la roue, en passant par celle de l’étiquette, de l’électricité et des micro-ondes ? L’homme est le seul être vivant ayant répertorié, inventé, plus de 424 façons (dont 328 rien qu’en France) pour accommoder les œufs avant de les manger. Chaque groupe ethnique, même le plus petit, même le moins civilisé, est reconnaissable grâce à ses idéaux et ses tabous gastronomiques, chacun invente des recettes propres, qui sont le miroir de sa société, de sa religion, de ses besoins et de son terroir. L’expression : « dis-moi ce que tu manges, je te dirais qui tu es », est donc vraie. Il n’existe pas de tribus où le cuisinier, qu’il soit chef, femme au foyer ou sorcier, ne possède une place privilégiée, respectée au sein des groupes familiaux, économiques et politiques.
La gastronomie est donc bien une composante culturelle, et même sociale, primordiale.

Gastronomie et civilisation
L’alimentation est le second besoin naturel inaliénable, le premier étant le sommeil. L’être humain peut être privé de tout : de littérature, de cinéma, de poésie, d’électricité… il parviendra à survivre. Il n’y a que si on le spolie de nourriture ou de sommeil qu’il est inéluctablement voué à la mort. Or, parmi ces deux besoins vitaux, il y en a un que l’être humain civilisé est parvenu à transformer en plaisir grâce à la gastronomie : l’alimentation. Il est d’ailleurs la seule créature à avoir réussi cet exploit. Chacun mange une, deux, voire même trois fois par jour pour les plus chanceux, selon des rituels souvent très précis. Et, se faisant, en mettant des champignons et de la ciboulette dans son omelette, en accordant la Romanée Conti avec du gibier, ou en réchauffant simplement un couscous d’une marque célèbre, chacun puise à l’intérieur d’un patrimoine culturel et artistique d’une profondeur vertigineuse, qui le relie à ses ancêtres, à son territoire, à son groupe social et, surtout, à lui-même.
La gastronomie est donc bien un fait de civilisation capital.
Mais la cuisine est-elle une forme d’art ? Nous allons faire la démonstration que la réponse est positive.

La cuisine et l’art
L'art est une création artificielle, qui exprime la sensibilité d’un homme (l’artiste), et dont le résultat communique au public un sens des valeurs qui peut changer sa vie, ou au moins influencer durablement sa perception du sujet représenté. Un pigeon gisant sur la chaussée, c’est assurément un cadavre dont il vaut mieux se débarrasser rapidement par mesure d’hygiène. Un loup qui mange un lapin, c’est un cycle naturel. Un blanc de Poularde, rouelle en cuisse, Royale de foie blond, Salpicon de homard, quelques morilles et pointes d’asperges, sauce légère au Savagnin, c’est indubitablement un chef d’œuvre, qui modifie pour longtemps votre vision de la cuisine et des volailles.
Bien sûr, ce statut privilégié n’est pas conféré à cette recette en raison de son nom compliqué, mais bien parce qu’elle transcende largement la nature commune, qui sans l’intervention d’un excellent cuisinier aurait produit une simple volaille décédée. Mais, surtout, cette composition est, en termes picturaux et gustatifs, totalement bouleversante. Sa seule existence est le corollaire du travail de plusieurs générations de chefs et d’ingénieurs surdoués (pas de four à induction, pas de recette, en tous cas pas aussi parfaitement exécutée). Quant à lui, le saumon à l’huile d’olive et aromates, ne supporte peut-être pas l’épithète de chef-d’œuvre, mais il s’agit néanmoins assurément, pour les mêmes raisons que précédemment, d’une oeuvre d’art.


La gastronomie (pas seulement française) mérite donc sans réserve une place au patrimoine mondial immatériel de l’humanité. Il était de la responsabilité du sénateur Mme Catherine Dumas de convaincre l’Unesco que la gastronomie française devait recevoir cet honneur plus que les autres. Son rapport était convaincant, nous y souscrivions. Malheureusement, la noble démarche semble désormais inévitablement vouée à l’échec, l’Unesco ayant déjà statué de manière presque définitive. C’est regrettable.


Pour terminer sur une note plus gaie, et en attendant la suite de ce passionnant débat, voici une nouvelle réjouissante :
Il revient très bientôt…
(et il est encore plus gourmand)